Littérature kafkaïenne et mécanique du cauchemar

Publié le par Cam

Littérature kafkaïenne et mécanique du cauchemar

Qui n'a jamais fait l'expérience des cauchemars sans issue, ces rêves angoissants dont les rouages sans prise ni logique nous retiennent prisonniers ? Coincé dans l'imaginaire comme le pauvre Truman dans son émission, tout rêveur s'est un jour efforcé d'accélérer son réveil pour échapper aux créations absurdes de son propre esprit. Cette mécanique du cauchemar sert de toile de fond aux deux romans suivants, que j'ai dévorés à quelques mois d'intervalle : L'Enquête de Philippe Claudel, et Epépé de Ferenc Karinthy. En véritables maîtres de la pression psychologique, ces deux auteurs ont choisi de faire osciller leurs ouvrages entre roman et fable. Point trop de sentiments ni de détails, mais un récit épuré, efficace, factuel et franchement kafkaïen. Par ce style d’une glaçante neutralité, Claudel et Karinthy semblent se rallier à l’indifférence générale dans laquelle se débat leurs personnages-victimes.

Epépé est un roman paru en 2013 aux éditions Zulma ; son auteur était un journaliste hongrois, décédé à Budapest en 1992. Rapidement hissé au rang de roman culte, l’ouvrage raconte l’histoire de Budaï, un linguiste érudit qui, suite à une étourderie qu’il ne s’explique pas, se retrouve dans une ville inconnue en pensant atterrir à Helsinki. A première vue, l’erreur ne semble pas si dramatique : il lui suffit de prévenir le personnel de son hôtel, récupérer son passeport et prendre le prochain vol. Seulement voilà, les habitant de ce curieux endroit parlent une langue absolument incompréhensible, se soumettent à d’étranges usages et sont si nombreux que toute action nécessite de faire la queue, de jouer des coudes et de savoir s’imposer. Peu à peu, Budaï réalise qu’il est comme prisonnier dans cette ville où il n'est qu'un étranger noyé parmi la foule, incapable de se faire comprendre.

L’Enquête a été publié quant à lui en 2012 et tranche radicalement avec les précédents ouvrages de Philippe Claudel. L’auteur annonce la couleur d’emblée en ne donnant aucune épaisseur à son personnage principal, se contentant tout au long du récit de l’appeler « l’Enquêteur ». Le lecteur ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il est chargé d’enquêter sur des suicides ayant eu lieu au sein d’une entreprise. Au fil de ses pérégrinations, l’Enquêteur réalise qu’il se trouve dans une ville où la notion de société semble avoir anéanti celle d’individu. Le récit glisse peu à peu du réalisme à l’incongruité la plus totale, jusqu’à plonger le personnage (et le lecteur) dans l’Absurde.

Le lecteur ne peut que s’identifier fortement aux personnages centraux de ces deux ouvrages, jusqu’à faire siens leurs moindres états d’âme. Incrédulité, réflexion, angoisse, panique, rage, abattement, quels comportements aurions-nous face à une logique qui nous dépasse ? A quel stade la dignité devient-elle superflue ?

Ce qui est sûr, c'est que L'Enquête et Epépé ne sont pas les romans les plus indiqués pour une lecture sans prise de tête au bord de la piscine. Vous voilà prévenus ! Non, le mieux reste de les lire à l'approche de l'hiver, avec une tisane et un bon oreiller. Autrement dit : tout de suite !

Cam

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